L’une des disparitions qui a ébranlé le monde de la culture et de l’entrepreneuriat est Virgil Abloh. En véritable icône, le créateur aux multiples facettes a marqué l’histoire de l’art du XXIe siècle.
S’il est particulièrement connu pour avoir été à la tête des collections masculines de la marque Louis Vuitton et fondateur de la marque Off-White, c’est son côté multi-casquette et sa faculté à bousculer les codes qui fait la différence.
Installez-vous confortablement, nous allons revenir sur l’histoire du créateur, entrepreneur pluridisciplinaire, Virgil Abloh et même apprendre des leçons de ses choix, ses erreurs et ses réussites.
Portrait sans filtre !
Le bon bagage
Virgil Abloh est né le 30 septembre 1980 à Rockford dans l’Illinois de parents ghanéens.
Bien que studieux, dans l’adolescence, il exprime sa fibre artistique en devenant DJ hip-hop pendant ses années lycée. Choisir cette discipline n’est pas anodin puisqu’elle exprime son envie de mixer différentes influences.
Bien que fan de culture urbaine, n’envisage pas pour autant d’en faire son métier. Sous les recommandations de son père, il poursuit de longues études aux États-Unis.
Il intègre l’Université du Wisconsin et en ressort diplômé en génie civil. Puis prolonge son cursus en intégrant l’Institute of Technology à l’Illinois où il obtient son diplôme en architecture.
Si l’on pourrait s’attendre à un parcours scolaire plus chaotique en sachant qu’il grandit à Chicago comme beaucoup de rappeurs stars de sa génération, ce choix de faire des études n’est pas atypique. Ce début de parcours est très représentatif des enfants de parents immigrés qui souhaitent le meilleur pour l’ascension professionnelle et sociale de leurs enfants.
Plus tard, nous verrons également que ses diplômes lui permettront aussi d’être plus légitime dans un domaine artistique où la diversité n’est pas légion.
Toutefois, Virgil Abloh ne met pas ses passions de côté, la musique et le graphisme. Mais exercer la profession d’architecte lui permet justement de faire ce qu’il aime en parallèle, sans peur du lendemain.
La bonne rencontre
En 2002, à seulement 22 ans, Virgil Abloh est repéré par Kanye West, natif comme lui de Chicago.
Déjà rappeur star, il est autant un musicien de génie qu’une marque. C’est pourquoi il Kanye West détecte que l’aspect pluridisciplinaire de Virgil Abloh peut faire la différence pour ses projets.
Kanye lui propose alors un poste de directeur créatif.
C’est peut-être l’un des premiers choix fondamentaux pour Virgil Abloh qui accepte la proposition et quitte pour cela son travail d’architecte.
Mais repartir dans une nouvelle voie professionnelle ne signifie pas manquer d’ambition ou de perspective. Bien au contraire. Très vite, Virgil Abloh devient véritablement le bras droit de Kanye West en le conseillant notamment sur ses pochettes de disques, les scénographies de ses concerts et son stylisme.
Cette collaboration durera quatorze ans.
L’année 2009 est une année charnière.
Une fois de plus, le futur entrepreneur confirme son besoin de consolider ses compétences en effectuant un stage dans la maison de luxe italienne Fendi, à Rome, toujours aux côtés de Kanye West.
C’est un pas de plus vers la mode.
Ce besoin de légitimité par l’apprentissage est dotant plus important que Virgil Abloh disait « C’est en faisant du graff que j’ai appris à dessiner. Je consommais de la mode, mais je n’en avais pas les moyens. J’allais dans les boutiques de luxe comme on irait au musée, c’était une activité culturelle. Mais j’avais le sentiment de ne pas appartenir à ce monde, de ne pas y être invité ».
C’est à la suite de ce stage, qu’il décide de lancer son premier concept store dans sa ville natale, Chicago, aux côtés de Don C, co-manager de Kanye West.
Virgil Abloh commence à faire son nom en inaugurant cet espace à mi-chemin entre la galerie d’art et la boutique de mode et de design.
Baptisé RSVP Gallery, le lieu accueille les designers streetwear les plus en vogue du moment qui côtoient les pièces vintages des grandes marques de couturiers. Du coup toute la jeunesse américaine en quête de « cool » s’y retrouve.
La fausse bonne idée ?
En 2012, Virgil Abloh fait un pas de plus dans l’univers de la mode en créant un premier label, Pyrex Vision.
Immédiatement, le label connait le succès. Il faut dire qu’il est très reconnaissable avec son logo « Pyrex 23 » et ses couleurs sobres. Une fois de plus, il s’appuie également sur ses connaissances pour faire rayonner la marque.
Des collections capsules avec des artistes de renom sont alors créées, tel que A$AP Rocky qui appose sa signature sur les vêtements.
Evidemment, Pyrex Vision, qui semble être cautionné par tous, s’installe alors dans les concepts stores les plus influents aux côtés des plus grandes maisons.
Mais tout aussi vite, la polémique le rattrape. À y regarder de plus près, le principe même du label est d’apposer le logo « Pyrex 23 » sur des vêtements Champion et des chemises Ralph Lauren, vendus plus cher.
Bien qu’il y ait une démarche de customisation et d’upcycling, les questionnements et mécontentements sont nombreux.
À ce stade, Virgil Abloh aurait pu faire profil bas et retourner dans l’ombre d’artistes. Mais au contraire, cette première expérience de marque lui démontre qu’il a la possibilité de fédérer du monde autour d’une identité mode et donc de créer une marque unique qui lui ressemble.
C’est presque comme un envol pour celui qui semblait encore avoir besoin de validation par les diplômes, les personnalités ou les marques déjà établies qui lui servaient de matière première.
Savoir rebondir
Un an plus tard, fin 2013, prenant en compte les retours, Virgil Abloh change de stratégie.
Il lance Off-White, véritablement, sa première marque de vêtements mode.
Basée à Milan, le nom de la griffe veut dire blanc cassé en anglais, comme pour signifier que rien n’est jamais tout blanc (ou tout noir).
On y retrouve toujours la culture « street » et le pouvoir du graphisme efficace. On reconnait la marque à sa signature noire et blanche, aux rayures diagonales et au logo composé de Zip-Tie et de guillemets.
Dès l’origine, le positionnement de la marque est haut de gamme et attire rapidement un public international.
Alors qu’à ses débuts le logo était une croix graphique, Virgil Abloh l’a fait évoluer.
Le nouveau logo est symbolisé par une main qui touche le O de Off, comme quelqu’un qui appuierait sur un bouton on/off. Comme une façon de passer d’un monde à l’autre.
La marque évolue ensuite vers des créations plus « couture » et le styliste devient le roi du streetwear de luxe.
Virgil Abloh disait « La définition du luxe s’est déplacée et ses valeurs aussi. Dans un sens, le luxe est juste devenu plus confortable ».
En 2015, la marque fait même partie des finalistes du prestigieux prix LVMH. En 2017 et 2018, il reçoit le prestigieux British Fashion Awards « Urban Luxe » award.
Revendiquer sa singularité dans la cour des grands
C’est en mars 2018 que Virgil Abloh noue un partenariat avec le groupe de luxe LVMH en devenant directeur artistique homme pour la prestigieuse maison Louis Vuitton.
C’est l’un des postes les plus enviés du secteur de la mode et du luxe et la surprise est totale.
Il devient alors l’un des premiers designers noirs dans une maison haute couture, à l’instar d’Olivier Rousteing chez Balmain.
Il avait estimé que sa nomination chez Louis Vuitton pouvait « montrer à une jeune génération qu’une personne à ce poste n’a pas à ressembler à un seul modèle« , dans un monde de la mode souvent critiqué pour son manque de diversité.
Immédiatement, ses défilés sont pris d’assaut, les jeunes rappeurs s’y pressent et il compte parmi ses fans Rihanna et Beyoncé.
Virgil Abloh utilise chacun de ses défilés comme un véritable tremplin pour militer pour l’instauration d’une diversité dans les milieux créatifs.
Son premier défilé, organisé dans les jardins du Palais Royal, à Paris, avait pour thématique l’arc-en-ciel et rassemblait, à côté de Kim Kardashian et Taskashi Murakami, des étudiants de plusieurs écoles de mode. Des invités qui donnent le ton en mettant en valeur : la créativité, la diversité et l’inclusivité.
Il propose un défilé ouvert en partie au public où des centaines de jeunes vêtus des tee-shirts qu’il a créés aux couleurs de son podium côtoient les mannequins aux origines planétaires. D’ailleurs, sur le livret du show, il avait même indiqué les origines des mannequins, mais aussi de quels pays leurs parents étaient natifs.
Sa collection de janvier 2021 pour Louis Vuitton prend la forme d’une performance anti-raciste et anti-homophobe menée par des rappeurs américains.
Virgil Abloh s’était interrogé sur comment les stéréotypes et les uniformes liés aux professions et aux modes de vie façonnent la personnalité. Toujours dans le but de changer les idées préconçues. « La mode est un outil de la mise en forme de ces identités (…) De façon inconsciente, nous faisons confiance à une silhouette en costume et nous nous méfions en voyant le contour d’un sweatshirt à capuche« , pouvait-on lire dans les notes qui accompagnent la collection.
En juin 2021, il défend la fluidité des genres et dans son film présentant la collection homme à Paris, ce sont des hommes qui portent des jupes et des robes inspirées tantôt de kilts, tantôt des tenues de kendo. « Ma génération ne croit pas aux frontières rigides entre les genres« , assurait alors le styliste.
Son dernier défilé printemps-été 2022, présenté en vidéo, était inspiré par Stranger in the village, l’essai fondateur de James Baldwin publié en 1953, et explorait la notion d’uniforme.
Mais dans son souci d’accessibilité, Virgil Abloh n’est pas visible que dans le domaine du luxe.
Depuis 2016, il a collaboré régulièrement avec Nike en revisitant des modèles emblématiques de la marque. Pour cela, il fait référence à l’adolescence pendant laquelle beaucoup d’enfants aiment personnaliser leurs baskets, en utilisant essentiellement un marqueur noir et la sérigraphie.
Il a également collaboré avec Champion, Timberland, Jimmy Choo, Levi’s
Le créateur a aussi répondu à l’invitation de Gianna Reisen, plus jeune chorégraphe du New York City Ballet, en signant les costumes monochromes de l’œuvre Composer’s Holiday, présentés au cœur du Lincoln Center en janvier et février 2018.
Mais ce qui rend Virgil Abloh particulièrement influent, c’est qu’il a aussi collaboré avec des marques du quotidien, comme Ikea, Evian, Braun ou encore Mercedes-Benz.
Virgil Abloh est à jamais une figure du créateur et entrepreneur touche-à-tout. Un slasheur capable de faire sa place en bousculant les lignes et en faisant voler en éclats les barrières sociales et les stéréotypes.
Vous souhaitez vous plonger dans son univers ?
Rendez-vous à l’exposition Coming of Age, jusqu’au 27 avril à la Fondation Louis Vuitton (Paris)
8 avenue du Mahatma Gandhi, 75016 Paris
« Coming of Age », exposition en mémoire et en l’honneur de Virgil Abloh, est présentée à la Fondation du 13 au 27 avril 2022. En prolongement de l’exposition initiale créée en 2019, cette nouvelle matérialisation de l’univers de Virgil Abloh rassemble espaces d’exposition, événements et activations numériques, permettant au plus grand nombre d’y participer.
Incarnation physique de l’univers de Virgil Abloh et hommage à sa vision unique, l’édition parisienne de « Coming of Age » réunit les oeuvres de l’exposition originale et son récit narratif pour les réinventer et les développer.
Tarifs : Accès gratuit sur réservation
Horaires : 12h – 19h