Le domaine du cinéma d’animation en France a considérablement évolué. Il y a encore 10 ans, hormis les supers productions de Disney, l’animation était considérée comme un secteur de niche, minoritaire et décrié. Force est de constater que cette industrie a pris un essor considérable. Un essor mondial dans lequel s’inscrit la France qui a su y trouver une place très honorable. Au point que de grandes productions prennent place de plus en plus souvent dans l’Hexagone.
Ludmila Belova, animatrice 2D dans le cinéma et la série d’animation, partage avec nous son quotidien :
Talenty : Peux-tu nous dire quelles ont été les grandes étapes les plus marquantes de ton parcours ?
Ludmila : L’étape la plus marquante pour moi a été mon entrée dans l’animation 2D traditionnelle avec le film Zarafa en 2010, par Rémi Besançon et Jean-Christophe Lie. Je participaisau clean, une étape qui suit l’animation dans la chaîne de production. Au moment de l’animation, la première étape de dessin est le « rough » où l’animateur réalise les poses clefs, les dessins les plus importants. Une fois cela fait, il laisse la place à l’assistanatpour compléter. L’assistant animateur va repasser, mettre au propre les dessins et réaliser les dessins intermédiaires manquants.
Sur ce projet, j’ai beaucoup appris auprès d’animateurs expérimentés.
T : Quelles compétences faut-il avoir pour être animateur ?
L : Dans mon domaine d’animation réaliste et semi-réaliste, il faut avoir de bonnes bases d’anatomie et d’animation 2D traditionnelle ainsi que des connaissances en perspective pour placer et bouger les volumes et personnages correctement dans l’espace. Afin d’être accepté sur un projet, on demande souvent aux animateurs de passer un test. Il y a énormément de postulants, il vaut donc mieux avoir un solide bagage en matière de dessin traditionnel réaliste avant tout. Le niveau réclamé est élevé parce que ces projets sont très prisés. Il y a 10 ans, les projets réalisés en dessins traditionnels étaient plus rares.
T : Aujourd’hui, quelle est la situation du marché de l’animation en France ?
L : Il y a un grand retour de la 2D traditionnelle avec d’avantage d’offres d’emploi. Le niveau exigé reste élevé.
J’ai commencé en 2008, et à l’époque il y avait beaucoup de séries cut-out (pantins en 2D dessinés et assemblés dans un logiciel, animés comme une marionnette par l’animateur), car elles étaient rapides à fabriquer et faciles à vendre sur le marché international. Seuls quelques films traditionnels étaient réalisés, et la compétition pour accéder à ces derniers était plutôt élevée. Depuis 4 ans, il y a vraiment une émergence de la 2D traditionnelle. On peut dire qu’on vit un renouveau.
T : Ton entourage et tes parents-t-ont-ils soutenu lorsque tu leur a dit vouloir faire ce métier ?
L : J’ai eu de la chance car mes parents, bien qu’inquiets, m’ont accompagnée dans mon choix et dans mon parcours scolaire. Il est appréciable d’être bien entouré, surtout pour un métier compétitif au recrutement, tel que celui-là.
T : Quelles sont les écoles d’animation que tu conseilles ?
L : L’un des établissements les plus connus est sans conteste l’école des Gobelins. Elle forme notamment d’excellents artistes techniciens. Depuis peu, l’école a annoncé un changement au recrutement, visant de jeunes profils à la sortie du Bac.
Il y a également l’école de la Poudrière qui se destine à des étudiants et professionnels plus âgés. L’enseignement se tourne d’avantage du côté de la réalisation.
A noter que le réalisateur Michael Dudok de Wit (qui a réalisé le film « La Tortue Rouge » produit par le studio Ghibli) est passé par l’école de la Poudrière pour réaliser son premiercourt-métrage reconnu « Le Moine et le Poisson ».
L’Ecole de l’EMCA à Angoulême, dont la formation dure 3 ans, est réputée dans le milieu.
L’Ecole Mélies sur Paris est aussi un établissement reconnu.
L’âge d’entrée dans les écoles est très fluctuant, il vaut donc mieux se renseigner auprès des établissements.
T : Pourquoi choisir l’animation plutôt que la bande dessinée ou l’illustration ?
L : Depuis mon enfance et adolescence, voir des mondes imaginaires prendre entièrement vie à l’écran, comme s’ils étaient réels, m’a toujours fascinée. De là est partie mon envie d’en faire mon métier.
Quant à la bande dessinée, on peut dire qu’elle est proche du cinéma d’animation en possibilité de narration. Nombres d’animateurs aiment d’ailleurs réaliser des bds lorsqu’ils en ont le temps et l’occasion.
T : Quels sont pour toi tes projets les plus marquants ?
L : Zarafa de Rémi Besançon et Jean-Christophe Lie en 2010 a été ma première expérience en 2D traditionnelle avec une équipe parisienne d’une trentaine de personnes. C’était une co-production avec un studio en Belgique.
En 2014, j’ai également adoré travailler sur le film « Tout en Haut du Monde » de Rémi Chayé, avec Liane-Cho Han à la direction d’animation. Ce long métrage a eu un impact dans le milieu de l’animation grâce à son style graphique original en masses colorées sans trait de contour, ainsi qu’au développement de techniques d’animation astucieuses, inspirée de l’animation japonaise, pour s’adapter à certaines contraintes de temps et de production. Il s’agissait de trouver une méthode efficaceet visuellement intéressante. Malgré les critiques virulentes envers la japanimation durant les années 90, elle est aujourd’hui grandement reconnuedans notre industriepour la qualité de ses choix graphiques et son efficacité. La contrainte budgétaire a été stimulante pour déboucher sur des techniques novatrices.
La série la plus marquante à laquelle j’ai participé en tant qu’animatrice a été « Crisis Jung » en 2017, réalisée par Baptiste Gaubert et Jérémie Hoarau. Réservée à un public adulte et averti, c’est une série très riche et techniquement impeccable.
Derrière son aspect psychédélique et ultra violent, l’histoire recèleune symbolique et des références mythologiques qui m’ont fait écho.
Une grande partie de l’équipe d’animation avait participé à l’adaptation de la bande dessinée « Last Man » en série animée en 2015. Sur ce projet, j’ai particulièrement apprécié l’ambition de fabriquer une série entièrement dessinée en 2D et l’exigence de la qualité des dessins fournis.Car quelques années auparavant, uniquement des séries 2D cut-out étaient réalisées en France.
T : Combien de temps pour réaliser un film d’animation, une série ?
L : En ce qui concerne l’étape d’animation, je dirais qu’en moyenne, cela dure 10 mois. Cela peut déborder sur les films. Mais de nos jours, le temps consacré à l’animation d’une série, bien que de durée plus importante, est à peu près le même que pour un film d’1h30.
Quelles sont les grandes étapes de la conception d’un film animé ?
Il y a 4 grandes étapes
1)Développement :
Tout commence ici avec le développement de l’histoire et l’écriture du scénario. Il s’agira de déterminer le style graphique et de créer les personnages ainsi que le monde dans lequel ils évoluent.
2)Pré-production :
Vient ensuite l’étape du storyboard qui esquisse le film dans les grandes lignes. Le storyboard est déterminant, les choix essentiels seront déjà majoritairement définis à ce stade. Cela donnera naissance à une animatique – montage vidéo de toutes les séquences pour s’assurer du bon rythme et de la cohérence de l’ensemble. On dessine ensuite les props (objets qui seront maniés par les personnages) ainsi que les décors au trait (layoutbg) et en couleur.
3) Production :
C’est l’étape animation, avec successivement dans l’ordre : le layoutposing, l’animation et l’assistanat.Il arrive que la mise en couleur des décors se déroule en parallèle de l’animation.
4) Post-production :
Cette étape finale comporte le compositing (ajout d’effets visuels, de luminosité et de tout effet spécial nécessaire), le montage final et l’élaboration de la bande sonore.
T : Quels sont les à priori sur ton métier ?
L : Généralement, les gens ont tendance à considérer l’animation comme exclusivement réservée aux enfants. Certaines personnes me demandent même d’expliquer à leurs enfants en bas âge en quoi consiste le métier d’animatrice bien que ce soit un métier très technique. C’est une erreur d’assimiler l’animation à un media purement enfantin. Il s’agit d’un moyen d’expression comme le cinéma ou la littérature, qui comporte plusieurs registres et publics. C’est une forme d’art et un media à part entière. Mon souhait est qu’à l’avenir ce préjugé disparaisse.
T : Quels sont les longs métrages que tu nous conseilles ?
L : Je souhaiterais fortement mettre en avant la sortie en salle prochaine de magnifiques films sur lesquels j’ai eu l’honneur de contribuer en animation ou en layoutposing.
Calamity de Rémi Chayé, qui vient d’obtenir le Cristal du Festival d’animation d’Annecy 2020. Il sortira en salle le 14 octobre 2020.
Calamity de Rémi Chayé, sortira en salle le 14 octobre 2020.
1863, dans un convoi marchant vers l’Ouest dans l’espoir d’une vie meilleure, le père de Martha Jane se blesse gravement. C’est alors elle qui doit conduire le chariot familial et s’occuper des chevaux. L’apprentissage est difficile et pourtant Martha Jane ne s’est jamais sentie aussi libre. Une aventure pleine de dangers et riche en rencontres qui, étape par étape, révélera la mythique Calamity Jane.
L’année prochaine, en 2021, deux beaux films d’animation marqueront leur sortie également :
Princesse Dragon de Jean-Jacques Denis et Anthony Roux, et Le Sommet des Dieux de Patrick Imbert.
Le Sommet des Dieux de Patrick Imbert, est actuellement en production. Il s’agira d’une adaptation d’un manga pour adultes de JirôTaniguchi. Il sortira dans les salles obscures en 2021.
Fukamachi, un journaliste photographe, trouve un appareil photo qui aurait été possédé par George Mallory et Andrew Irvine pendant leur ascension fatale de l’Everest en 1924. Il se fait alors dérober ce précieux appareil. Commence alors une enquête pour savoir si les deux alpinistes décédés ont été les premiers à gravir le Mont Everest.
« Princesse Dragon » de Jean-Jacques Denis et Anthony Roux. Il sortira sur les écrans en 2021.
Bristle est une petite fille élevée par des dragons. Mais quand son père, Dragon, doit payer la Sorcerog en utilisant son second atout le plus précieux, il lui offre Bristle… La jeter dans une tristesse infinie et la forcer à fuir la grotte de la famille. Bristle entreprend alors un voyage pour découvrir le monde des hommes. En les rencontrant, elle apprendra le sens de l’amitié, de la solidarité, mais aussi de l’avarice, qui semblent engloutir le cœur du Roi. C’est là que Bristle va gagner son surnom de « Princesse Dragon ».
T : Quelles sont pour toi les compétences essentielles pour exercer la profession d’animateur ?
L : Il faut mettre les chances de son côté en améliorant au maximum son dessin et son ressenti du mouvement. Etant plutôt tournée vers le style réaliste/semi-réaliste, je participe régulièrement à des cours d’anatomie. Pour faire de la 2D dans un style réaliste, l’anatomie est nécessaire, ainsi que la maîtrise de la perspective et la gestion des volumes dans l’espace. Cela permet de construire ses dessins plus rapidement et de poser son animation avec efficacité. Visionner des références d’animation et observer les silhouettes et les mouvements des personnes tout autour est également indispensable.
Chaque personne étant différente, certaines préféreront exercer leur dessin tranquillement chez elles. En ce qui me concerne, j’ai besoin de travailler en studio et apprendre des autres. A choisir donc la méthode qui conviendra le plus à chacun. Donner le meilleur pour intégrer les équipes et projets de cœur est un moyen hautement stimulant.
T : Quelle est la partie que tu préfères le plus dans ton travail ?
L : J’adore exécuter le layout posing. C’est l’étape qui précède l’animation. Dans la fabrication actuelle il s’agit de tous les dessins clefs, donc l’essentiel d’un mouvement. La construction doit être impeccable et la mise au modèle tenue.
Merci à Ludmila d’avoir partagé son expérience et de nous avoir fait découvrir son métier d’animatrice 2D avec passion !
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