Je suis diplômée d’un master en communication-sociologie et après un service civique rondement mené, j’ai décidé de partir à la recherche de mon premier emploi. Pôle emploi a son charme, mais comme il fallait tout de même payer le loyer, j’ai postulé à un job “alimentaire” tout en continuant mes recherches.
Très vite, j’ai reçu une réponse positive pour un poste d’“agent de médiation culturelle et de surveillance”, un job qui se prononce “surveillante de musée” si on est honnête.
J’ai testé être surveillante de musée
Prête pour mon premier jour, tout en sachant que ce n’était pas un poste de rêve, je suis tout de même satisfaite à l’idée d’être rémunérée pour regarder de l’art et des personnes bien habillées. L’optimisme fut de courte durée une fois que j’avais passé mes cinq premières heures en face d’un mur blanc. Après vérification auprès de mes supérieurs, mon poste était apparemment important. Il existait au cas où des visiteurs outre passaient les barrières, et voulaient se rendre dans les salles en travaux (après tout, chacun ses kinks).
Cinq heures c’est long, mais cinq heures sans autorisation de se distraire, c’est interminable.
On ne dit pas : “je suis surveillante dans un musée”, mais plutôt “ J’analyse la relativité et la distorsion du temps”.
L’ennui, c’est du travail
Je n’aurais jamais cru que c’était aussi difficile de ne rien faire. Surtout pour moi qui ai un caractère calme et posé. Au fur et à mesure des mois, j’ai vu mes collègues vacataires changer et j’ai compris pourquoi les titulaires étaient aussi perchés.
Finalement c’est très rare de n’absolument rien faire. On ne fait “rien” en regardant une série, en faisant défiler Instagram, ou en lisant par exemple (et parfois même les 3 à la fois ! Quelle vie.). Là, il s’agissait d’une toute autre expérience. Interdiction de lire, de regarder son
téléphone, d’avoir des écouteurs, de fermer les yeux (oui bon ça va), nous étions là pour surveiller. Surveiller le vide parfois.
Au bout d’une semaine, j’espérais qu’un ou une visiteuse tente de dérober une oeuvre, chante, crie, danse, rampe ou fasse la moindre chose interdite pour créer un peu d’action.
C’était une bonne journée lorsque je pouvais renseigner quelqu’un en anglais. Bon, ça n’allait jamais plus loin qu’expliquer où était les toilettes, mais c’était déjà ça.
L’ennui et l’ivresse, même combat
Je crois qu’à haute dose l’ennuie a le même effet que l’alcool.
D’abord, il désinhibe. C’est comme cela qu’en très peu de temps, je me suis retrouvée à connaître un paquet de ragots et les traumatismes d’au moins la moitié de mes collègues. Je ne vais pas mentir, je n’étais pas en reste et des personnes que je venais de rencontrer ont vite
été au courant du déroulé de mes syndromes pré-menstruels.
Un autre point flagrant, moi qui ne veut d’ordinaire pas déranger, je me suis mise à répondre tout haut ce que je pensais tout bas. Lorsqu’un visiteur me disait que j’avais bien de la chance de travailler dans un musée, je n’hésitais pas à lui répondre que non, pas tant que ça après un
master. Qui est ce qui n’a plus peur de créer du malaise ? C’est moi ! Bon, je ne sais pas si c’est une bonne chose…
Très vite, je n’ai plus laissé passer les remarques sur mes cheveux crépus : “Non monsieur ma coiffure n’est pas si originale en dehors du 16ème arrondissement”. Les réponses aux questions absurdes fusaient de plus en plus vite. Je garde un tendre souvenir de cette dame
qui pensait qu’on était bénévole parce que “les jeunes et leurs lubies…”.
Comme l’alcool, l’ennuie m’a donné le rire facile, très facile parfois. Au bout de quelques jours je riais de bon cœur aux jeux de mots de mes collègues qui s’ennuyaient depuis près de 30 ans.
Collègue au bout du gouffre : – “Mallory… Malloryzoto ! Mallorisdeveau !”
Moi dans le déclin :- “Ahahaha excellent ! J’adore ce mec !”
Un melting pot de l’ennui
Je pense que je n’avais jamais travaillé avec des personnes aux profils si variés, et clairement, ça crée une synergie particulière. Nous étions beaucoup à être très diplômé.e.s, mais certains collègues n’avaient pas eu la chance d’étudier. Nous étions une équipe composée d’artistes, d’entrepreneurs, d’entrepreneuses, de courageux.se, de français.e.s, d’étranger.e.s, de jeunes, de presque retraité.e.s, de frustré.e.s, de paumé.e.s, de rêveuses, de rêveurs, d’aigri.e.s, d’ambitieux.ses.
Nous avons tous eu à un moment ou un autre, un passage à vide, où l’introspection créée par l’ennui était allé beaucoup trop loin. Heureusement, la solidarité entre vacataires était là.
Parmi cette diversité de profils, ce que je retiens principalement, est que ce job nous a conduit à des discussions sans fin, à des réflexions, des remises en questions, et à des fous rires qui ont créé de véritables amitiés.
Lors de votre prochaine exposition, dites bonjours aux surveillantes et surveillants du musée.
On ne dirait pas comme ça, mais ce travail n’est pas simple. Ils ne sont pas ceux.elles que vous croyez et j’avoue être maintenant un peu impressionnée par ces guerriers de l’ennui.
Toi aussi tu as vécu un « jour où » qui a changé ta façon de voir les choses ? Envoie ton histoire à redac@makeitnow.fr pour être publié 🙂
Tu veux, toi aussi, faire de ton passion ta profession ? Direction LA PROMO
Bon courage pour la suite car ce job n’est vraiment pas cool
Merci beaucoup 🙂 C’est sûr mais bon je me dis qu’il y a toujours moyen de retirer quelque chose de positif dans ce type d’expérience.
Wahou…j’adore ta plume et j’ai eu beaucoup de plaisir a lire l’ennui, à découvrir qu’au final tu avais survécu…Perso, je haie l’ennui, j’ai toujours besoin d’être en action. C’est une vraie maladie, il faudrait que j’apprenne à ne rien faire, à laisser mon esprit divaguer…Et ça aussi c’est du boulot 😉
Oh merci ça me fait très plaisir ! Oui je comprends ce n’est pas simple. Tu as essayé la méditation guidée par une application ? Même si ce n’est pas à proprement parlé de l’ennui, ça peut aider à prendre du temps pour soit et à se reconcentrer sur l’essentiel.
C’est drôle cet article fait écho à un autre que j’ai écrit il y a quelques temps. Et je comprends tout à fait ce qu’à vécu Malory. J’ai travaillé un certain temps en tant qu’hôtesse d’accueil et c’est effrayant comme s’ennuyer épuise et aussi dégrade l’image de soi à terme. En effet, les profils des gens sont très variés et souvent une situation censée être temporaire s’éternise, malheureusement. Au bout d’un moment, on finit par se moquer un peu de tout mais ça ne soulage pas parce qu’il manque l’essentiel : la stimulation intellectuelle, le challenge, tout ce qui mène à l’estime de soi. Bref, très chouette article et beau témoignage.
C’est exactement ça …. et ce n’est pas toujours évident de le faire comprendre aux personnes qui ne le vivent pas. Merci 🙂
J’ai vécu quelque chose de semblable en tant qu’hôtesse d’accueil… ET c’était long, très long… Et réellement, j’ai conscience à quel point, il y a plein de jobs qui ne permettent pas de s’épanouir et ce malgré ce que cela peut vouloir dire pour certain! « sympa, ton taf, tu fais rien de la journée! » Merci pour ce beau partage une fois de plus!
Exactement ! Lorsqu’on est entourée de personnes qui comprennent à quel point ça peut être fatiguant et déprimant ça soulage déjà un peu, merci Slowandcute.
J’ai beaucoup apprécié ton article très bien écrit et qui décrit tellement bien le fameux bore-out, l’ennui au travail. Effectivement cela doit être un vrai défi au quotidien.
Promis je ferai attention aux surveillants et surveillante lors de mes visites aux musées 😉
Haha merci beaucoup ! Si mon article peut amener quelques regards bienveillants, sur ces personnes si souvent ignorées, alors j’aurais tout gagné.
J’aime bcp ton article et ta façon d’écrire. Promis la prochaine fois que je vais au musée je dis bjr à tout le monde 😉
Merci beaucoup 🙂 Si tu te mets à dire bonjour à tout le monde, y compris les visiteurs, je pense qu’on risque de te prendre pour une huluberlue haha